Masque de Saint-John Perse

Saint-John Perse

La marche du poète vers la Mer

 

Alexis Leger, dit Saint-John Perse, diplomate français, écrivain et surtout un immense poète, côtoie les plus grands artistes,  Gide, René Char, Debussy, Stravinski, Rilke, et bien d’autres de ses contemporains, qui l’admirent.

Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1960 « pour l’envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne un reflet visionnaire de l’heure présente ». Dans son allocution au banquet Nobel il évoque les rapports entre science et poésie en même temps qu’il énonce vigoureusement ce qu’est, pour lui, la poésie dans son rapport à l’univers et au vivant.

Elle est d’abord un mode de vie, une morale, presque une foi: « La poésie moderne n’est point art d’embaumeur ni de décorateur. Elle n’élève point des perles de culture, ne trafique point de simulacres ni d’emblèmes, et d’aucune fête musicale elle ne saurait se contenter. Se refusant à dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la connaissance, elle est action, elle est passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus. L’obscurité qu’on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore : celle de l’âme elle-même et du mystère où baigne l’être humain. »

Dans son langage d’une pureté et d’une rigueur exigeantes il invoque les pluies, les neiges, les grands vents, les souffles océaniques, et construit une œuvre inoubliable. C’est la mer qui pour lui, représente l’essence même de la poésie – c’est LA poésie, pense-t-il. C’est aussi l’élément originel d’où est issue toute vie et où nous rêvons de retourner, comme nous retournerions dans le corps liquide de notre mère. Source maternelle de vie elle devient associée à la Femme et finit par représenter le Désir lui-même, dans son va et vient exigeant et sourd aux contraintes ordinaires de la vie, dans l’évidence de ses forces tendues vers l’accomplissement et le dépassement de chacun de nous.

La place du Poète selon Saint-John Perse

Il en appelle à l’Histoire pour assigner à celui qui se veut poète sa place dans un monde en voie d’être détruit par la violence; Saint-John Perse clôt ainsi son allocution au Nobel:

https://www.youtube.com/watch?v=cx549khexg8

«Ne crains pas», dit l’Histoire, levant un jour son masque de violence – et de sa main levée elle fait ce geste conciliant de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice. «Ne crains pas, ni ne doute – car le doute est stérile et la crainte est servile. Écoute plutôt ce battement rythmique que ma main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création. Il n’est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n’est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s’éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l’incessant afflux de l’Être. La tragédie n’est pas dans la métamorphose elle-même. Le vrai drame du siècle est dans l’écart qu’on laisse croitre entre l’homme temporel et l’homme intemporel. L’homme éclairé sur un versant va-t-il s’obscurcir sur l’autre. Et sa maturation forcée, dans une communauté sans communion, ne sera-t-elle que fausse maturité? …

Au poète indivis d’attester parmi nous la double vocation de l’homme. Et c’est hausser devant l’esprit un miroir plus sensible à ses chances spirituelles. C’est évoquer dans le siècle même une condition humaine plus digne de l’homme originel. C’est associer enfin plus largement l’âme collective à la circulation de l’énergie spirituelle dans le monde … Face à l’énergie nucléaire, la lampe d’argile du poète suffira-t-elle à son propos? Oui, si d’argile se souvient l’homme.

Et c’est assez, pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps ».

 

Du recueil Amers de Saint-John Perse,  «Étroits sont les vaisseaux, étroite notre couche»:

 

Illustration: Le Baiser, de Constantin Brâncusi (1909)