De descendance noble, Pierre de Ronsard (1524-1585) est destiné à une carrière militaire ou diplomatique. Empêché de s’y consacrer à cause des suites d’une otite qui le rendent sourd, il se tourne vers la poésie.
Ronsard poète
Ses travaux remportent rapidement un immense succès. L’Académie des Jeux floraux lui décerne le Prix de la poésie, et les Capitouls de Toulouse (magistrats de la Ville) l’honorent: nous apprenons qu’en 1554 la Fleur de l’églantine « est adjugée à Pierre Ronsard, pour son excellent et rare génie, pour l’ornement qu’il avait apporté à la poésie française, et que le prix d’icelle avait été converti en une Pallas d’argent. Cette Compagnie avait accoutumé de faire semblables présents aux Poètes du premier nom, outre les Prix ordinaires qui se distribuent annuellement ; dont Les Capitouls avec les Mainteneurs des Jeux Floraux de Toulouse, font don à Ronsard, Poète ordinaire du roy notre Sire, pour excellence et vertu de sa personne, et que ladite fleur serait augmentée de prix selon ce qui serait avisé ». Les savants de son temps le comparent à Homère, à Pindare, à Virgile. Quatre rois, Henri II, François II, Charles IX et Henri III, le comblent de faveurs, de distinctions et de récompenses. Charles IX, en particulier, le reçoit dans son intimité et lui adresse les vers suivants :
Tous deux également nous portons des couronnes ; Mais, roi, je les reçois ; poète, tu les donnes.
Ses succès le désignent bientôt comme chef de la première école poétique (un groupe de poètes avec une doctrine et un chef de file) française : la Pléiade (1550-1570), dont il est l’un des fondateurs avec Joachim du Bellay. En 1549 ils publient La Défense et Illustration de la langue française: défense contre les humanistes qui voulaient écrire tout en latin ( la langue universelle de ce temps-là), illustration (au sens d’enrichissement) ; on va enrichir la langue et la littérature françaises en imitant les genres des Anciens (ode, épopée, sonnet), en empruntant des éléments de la mythologie grecque et latine, en employant des mots latins, grecs, italiens, dialectaux: prise de position à la fois littéraire et politique.
Ronsard et les ravages du temps
Surnommé « Prince des poètes et poète des princes », figure majeure de la poésie de la Renaissance, Ronsard, homme élégant, cultivé, amoureux de la vie, se présente en épicurien aimable et raffiné. Dans ses sonnets les plus connus, il célèbre les femmes « du temps qu’elles sont belles » et les invite aux plaisirs de l’existence et de l’amour avant qu’il ne soit trop tard.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie…
Derrière les mots soigneusement choisis et les images ravissantes des sonnets, au-delà de la certitude que le pouvoir poétique, pouvoir d’immortalité, est plus fort que le temps qui passe (Quand vous serez bien vieille […] direz chantant mes vers […] : Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle) le leitmotiv du vieillissement inexorablement lié à disparition de la beauté masque et révèle une hantise qu’il ne peut plus taire : l’angoisse devant la mort.
Je m’enfuy du combat, mon armee est desfaite : J’ay perdu contre Amour la force et la raison : Ja dix lustres passez, et ja mon poil grison M’appellent au logis et sonnent la retraite
À 56 ans, Ronsard cesse de publier de nouveaux textes. Il vieillit et, soucieux de l’image que l’on conservera de lui, le « grison maladif » prépare attentivement les éditions de ses œuvres complètes. Il mourra après une longue maladie, dans sa maison près de la Loire, cinq ans plus tard. Et lorsque ses amis publient, à titre posthume, ses « Derniers vers », se révèle la vérité de cet homme devenu lunatique, solitaire, sourd, qui voit avec terreur la déchéance et la mort s’approcher.
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Le sonnet ci-dessous intitulé : « Je n’ai plus que les os », plonge au coeur de cette angoisse; de même, dans les quelques vers suivants qu’il adresse à son âme qu’il nomme « Âmelette ronsardelette », le ton plaisant de la succession des diminutifs en « ette » se dissipe bientôt pour, au dernier vers, demander au vivant qui passe :
« Ne trouble mon repos, je dors ».
Illustration: Sculpture de Marc Petit (1961- )
Illustration: Goya, Vieillard sur une balançoire (1824-28)