C’est la révolte contre les valeurs traditionnelles de la société d’avant la guerre de 14-18 qui a conduit Philippe Soupault à l’écriture et à la poésie. Issu d’une famille de grands bourgeois parisiens, fils d’un médecin renommé et neveu du propriétaire des usines Louis Renault, il s’oppose à toute sa famille à l’exception de sa mère et en rejette rapidement l’intransigeance, l’égoïsme et le conformisme.
Lecteur enthousiaste, ses études au lycée Fénelon l’ennuient profondément. Jeune bachelier en droit romain et droit maritime, sa mobilisation à 18 ans le délivre à la fois du lycée et de sa famille. Soldat indiscipliné, il évite de justesse le conseil de guerre.
Or, devant la menace d’une épidémie l’armée expérimente sur les militaires un vaccin contre la typhoïde ; plusieurs de ses camarades en meurent. Pas lui ; c’est ainsi que durant de longs mois d’immobilisation à l’hôpital il se passionne pour la poésie. C’est là, une nuit de février 1917, qu’il écrit son premier poème :«Départ» ; il l’envoie à Apollinaire, lui aussi hospitalisé, qui le publie aussitôt. D’autres suivront.
Confronté aux horreurs de la Première Guerre mondiale et aux discours militaristes et chauvins de ceux qui la justifient, l’adolescent renfermé qu’il était devient un poète révolté. « Nous avions un peu plus de vingt ans à la fin d’une guerre. Nous étions désespérés. »
La guerre finie, il cherche l’aventure intellectuelle et rencontre Dada, qu’il considère comme une « table rase nécessaire ». Dada était né à Zurich pour dénoncer la monstruosité des combats; dans cette mouvance, avec André Breton et Louis Aragon il fonde la revue Littérature ; très rapidement déçus par le manque de vision de Dada, rejoints par leur ami Paul Éluard, ils décident de fonder leur propre mouvement, le surréalisme. Il s’agissait d’abord d’inventer le moyen de dire ce que deviennent les hommes au cœur de cette guerre terrible, insensée, et d’en dénoncer toutes les outrances.
L’angoisse , il l’a déjà vécue l’année de ses 7 ans lors du décès de son père : première rencontre avec la mort, première confrontation silencieuse avec elle, et qui l’a marqué pour toujours. Fils de la guerre se développe avec cette angoisse en filigrane; dans la colère et le refus, il écrit l’ivresse du sang versé par l’homme, comme si la terre avait besoin de s’en nourrir.
D’une actualité effrayante – ces amants du sang nous entourent un peu partout, y compris chez nous – ce poème de Soupault est implacable, et bouleversant.
Fils de la guerre:
Illustration: source Tiago Ribeiro de Carvalho