L’une des grandes jouissances de l’enfant jusqu’à sa maturité se déploie dans la possession et la découverte de ce qui n’est pas à sa portée; c’est par là qu’il s’affranchit de la tutelle de ses parents et qu’il commence à conquérir ce qui constituera plus tard sa confiance en lui et son indispensable autonomie.
Les contes destinés aux petits tentent de leur enseigner à maîtriser leur curiosité et à baliser leur quête de plus de liberté, à être obéissants, sages, gentils – bref, de « bons enfants ». La grande difficulté de l’éducation consiste alors dans l’équilibre à trouver entre consignes de prudence et encouragements à se dépasser. Les histoires terribles aux conséquences catastrophiques qui leur sont racontées avant qu’ils ne s’endorment restent gravées dans leur jeune mémoire : en passant par le plaisir du conte accompagné de la présence et du dialogue avec leur parent, leur sont transmis des principes d’action dont notre vie nous a appris la valeur ou la nécessité, mais qui s’opposent à leur mouvement le plus naturel : désirer ce qu’ils n’ont pas, et, encore plus excitant! conquérir ce qui leur est interdit.
Le conte d’Alphonse Daudet ne fait pas exception à ce projet éducatif : savoir jouir de ce que l’on possède, accepter de négocier au besoin, et y réfléchir à deux fois avant de se laisser séduire par des perspectives ou des promesses illusoires. Autrement dit : s’informer, être prudent, ne pas présumer de ses forces ; comprendre que de plonger dans l’inconnu sans préparation est dangereux, que la témérité n’est pas le signe du courage, et que nous ne sommes pas invincibles. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ces petites filles appâtées par la « gentillesse » attentive que leur offre le salaud qui abusera d’elles, ou à ces ados, attirés par un « ailleurs » dont on leur fait croire qu’il est idyllique et dont ils ne sortiront peut-être pas vivants.
Ainsi la petite chèvre du conte: pour réaliser son désir irrésistible d’aller « là-bas », dans la montagne inconnue – sûrement plus belle et enviable que l’herbe pourtant verte de son propre pré – elle va désobéir à son bon maître Monsieur Seguin; et, alors…
Il était une fois…
E piei, lou matin, lou loup la mangé.