Une seule loi conduit l’écriture : la réalisation d’un impossible. *
Paul Bélanger
Paul Bélanger :
Je n’ai guère changé depuis le temps.
Un livre ne commence jamais, il est manifeste de la continuité d’une volonté de marcher dans le monde ; et pas davantage n’est-il le prolongement de l’écriture, qui poursuit d’autres fins que le texte. Il n’est pas le résultat d’une démarche mais le prolongement d’un mouvement de fond, invisible, où la liberté seule conduit la volonté par l’exercice réitéré, jour après jour, d’un engagement dans l’écriture. C’est une attention au chaos perpétuel, au bruit centripète des voix qui sont là dans l’ombre tapies, en attente davantage qu’en repli. Et cet effort consenti, je m’en délie quelque peu et le donne comme un trajet, l’itinéraire d’un voyage engagé vers son destin.
Je suis le fil de cette liberté jusqu’à me perdre, je cherche à exacerber le vide bruyant de ma conscience de ne pas écrire, ou d’être sans écriture. Le lieu s’ouvre à lui-même dans sa quête et son désoeuvrement.
Au commencement, il n’y a pas de livre, pas l’ombre d’une page. Il y a un homme et son chaos, qu’il porte au dehors pour le voir dans le regard de l’autre. Il n’y a même pas d’écriture, seulement le flottement d’une sensation, d’une pensée suspendue, passage d’une lecture ou d’une idée. Au commencement, je n’avais rien à écrire mais il fallait que ça dure : échouer mieux. »
Paul Bélanger ajoute :
Le danger de se perdre est permanent, et sans cette perte ce sentiment de se perdre dans des choses, aucune avance n’est possible. Ce risque, le poète le prend chaque fois qu’il ouvre l’espace.
Je suis le fil qui conduit à mon absence comme si je marchais à l’apparition d’une voix. Que cette blessure trouve une biographie. Le vent pourrait tout emporter dans un seul passage, tant je suis pris par cette chute. Comme on dirait : tomber dans son œuvre. Impossible, d’autant, de vivre sans tout embrasser du présent. La parole ne vient pas à moins. J’affronte cette démesure monstrueuse avec ma solitude. Ce carré minuscule, tout à la fois fenêtre, porte, cadre – qui retient de la destruction.
Comme en une promenade dans un monde obscur, chaque pas s’accomplit à l’aveugle. Écrire est une plongée dans le noir. Tout se présente d’une façon incompréhensible, où l’on est dans une solitude absolue –comme avec sa mort. Rien ne s’arrache aux faits sans qu’on risque de se tromper, ou d’oublier. Qu’espère une telle vie, quelle curieuse alchimie nous lie au monde. À chaque moment, deux vies se côtoient, qui vont leur propre épopée. Nous traversons un espace limité, le centre, c’est nous, c’est là où l’on se trouve.
L’écriture m’aura appris que de tous les revers de l’expression, le créateur peut garder la tête haute par le risque qu’il entreprend. Il est dans sa noblesse, dans sa disparition – en route vers son oubli. Par l’écriture je me suis désappris et j’ai laissé l’imposteur au vestiaire, me donnant à ce métier, sans pour autant savoir ramer vers mon savoir.
Je poursuis cette attente.
Paul Bélanger
de Paul Bélanger: Je vois au loin.. et Une heure seul
Nous remercions Paul Bélanger de nous avoir confié ces deux poèmes extraits de Répit (2009) ainsi qu’un extrait des carnets *Le plus qu’incertain (2017), et les Éditions du Noroît de nous avoir aimablement autorisés à les reproduire dans la série des « Poètes du Québec – Voix du Nouveau Monde ».
Photographie: Normand Poiré
Illustrations de la video: gao xingjian: L’attente (2004); Jean Dubuffet: Le voyageur égaré (1950)