Le débat en cours sur l’aide médicale à mourir suscite des questions qu’il est nécessaire d’éclairer tant elles suscitent de réactions et affirmations pas toujours rationnelles.
Ci-dessous, avec l’autorisation du Dr Georges L’Espérance, neurochirurgien et président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD), son excellent article: Le choix de mourir selon ses valeurs – le libre-arbitre dans la dignité, récemment paru dans la revue Le Point en santé et services sociaux (Vol. 13, no 2). D. R.
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Les patients avec pathologies chroniques
et les patients avec pertes cognitives
Le 17 juin 2016, le Projet de loi C-14, la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir, est entré en vigueur. Hélas, cette loi ne respecte ni l’esprit ni la lettre de la décision rendue par la Cour suprême du Canada le 6 février 2015 (1).
L’enjeu tel qu’étudié par la Cour suprême portait sur la demande d’aide médicale à mourir de deux courageuses dames et leurs familles : Mme Taylor souffrait de sclérose latérale amyotrophique (SLA), et Mme Carter présentait une sténose spinale cervicale sévère associée à une myélopathie cervicale débilitante et irréversible. Aucune de ces deux conditions ne présente un caractère tel que « la mort naturelle est raisonnablement prévisible » à court terme comme prévu dans la loi maintenant en vigueur.
La Cour suprême écrit : « La prohibition [de l’Aide médicale à mourir] prive les personnes se trouvant dans cette situation du droit de prendre des décisions relatives à leur intégrité corporelle et aux soins médicaux et elle empiète ainsi sur leur liberté. » Le critère jésuitique de « mort naturelle raisonnablement prévisible » du projet de loi C-14 a pour effet d’exclure cruellement ces personnes.
Être un humain, c’est faire des choix toute sa vie durant, et cela doit inclure le choix des derniers instants.
Du strict point de vue médical, C-14 abandonne les patients avec pathologies chroniques débilitantes irréversibles et incurables. Certaines personnes qui ont déjà à souffrir d’une maladie chronique incurable et progressivement débilitante doivent maintenant en plus affronter l’angoisse de la décision de se priver d’une vie de qualité et éventuellement songer à mettre fin à leurs jours prématurément et souvent d’horrible façon plutôt que de bénéficier d’une aide médicale compassionnelle.
Quelques médecins et des gens qui les soutiennent sont convaincus qu’ils peuvent juger de la qualité de vie ou de la souffrance d’une personne et que leurs interventions pourront régler toutes les questions fondamentales qui se posent à une personne qui se voit diminuée par une maladie physique chronique ou débilitante ou encore par une perte progressive de ses capacités cognitives. On retrouve malheureusement cette croyance paternaliste chez certains médecins de soins palliatifs, soutenus par des groupes de pression religieux qui ne se prononcent pas à visière découverte.
On ne devient pas médecin pour soi-même mais pour les autres.
Dans Soi-même comme un autre , le philosophe Paul Ricœur (2) se penche précisément sur le conflit décisionnel qui surgit entre un malade qui n’en peut plus et demande qu’on écourte sa souffrance et un médecin qui se croit obligé de respecter la vie plus que la volonté du patient. La conscience du médecin au fond, c’est la voix de l’autre dans le besoin, à qui la compassion dicte avant tout que « c’est à l’autre que je veux être fidèle ».
Cet autre, c’est un être humain qui prend une décision éclairée pour lui-même, qui exerce complètement son autonomie et qui pour ce faire demande l’aide de la médecine afin de terminer ses jours paisiblement, au moment où il le juge pertinent pour lui. C’est d’ailleurs cette même médecine qui le plus souvent l’a conduit dans une vie ou une survie souvent très intéressante et qui en a valu la peine, mais qui maintenant apporte plus d’inconvénients que de bénéfices, dans son optique personnelle. C’est au patient seul à en juger, à personne d’autre; d’autant plus que cet être humain sait qu’il va doucement glisser vers une déchéance cognitive qui lui enlèvera à terme ce qui fait la spécificité de notre espèce : la cognition, la conscience de soi.
Être un humain, contrairement à tous les autres organismes vivants, c’est faire des choix toute sa vie durant, et cela doit inclure le choix des derniers instants, qu’ils soient jours, semaines ou mois. Et l’alternative à la déchéance finale, courte ou longue, mais inexorable, est la possibilité, pas l’obligation, de terminer en douceur, selon ses propres convictions, et non celles des soignants.
C’est dans cet esprit qu’il faut recevoir les mots de l’Honorable Jean-Louis Baudouin :
« Le premier devoir du médecin n’est plus de sauver la vie à tout prix, mais de respecter la liberté de choix de son patient » (3).
C’est là que réside une authentique relation patient/médecin. L’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité joint sa voix à d’autres organismes régulateurs afin d’effacer le plus rapidement possible les importantes zones d’ombre générées par les modifications au code criminel canadien votées par le gouvernement fédéral actuel.
En particulier, les dispositions du délai de 10 jours ainsi que la notion médicalement inintelligible de « mort raisonnablement prévisible (…) sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à (l’)espérance de vie » ont des impacts significatifs sur le bien-être des patients qui veulent avoir une fin de vie conforme aux valeurs de dignité et de liberté qui les ont toujours animés. En regard de la finalité compassionnelle de l’Aide médicale à mourir, la confusion générée par le projet de loi C-14 est inadmissible, d’autant plus que les dispositions ne respectent pas la décision de la Cour suprême.
Il s’agit non pas d’imposer une logique de fin de vie aux patients qui en sont arrivés à cette étape, mais de respecter le libre arbitre de chacun dans le respect de son autonomie. Légitimer l’absolutisation de la « vie » aux dépens de la « personne », c’est vouloir donner préséance aux valeurs des soignants sur celles des soignés. C’est prendre soin davantage du bien-être psychique des premiers, ce qui peut conduire à « des choses cruelles qu’on peut faire, quand on absolutise le caractère sacré de la vie », comme l’avait affirmé le théologien Jacques Grand’Maison devant la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité.
Les obstacles idéologiques dans certains établissements
L’AQDMD dénonce aussi avec vigueur l’attitude des médecins de certaines unités de soins palliatifs qui s’arrogent le droit d’interdire l’utilisation des ressources publiques comme si cela était leur bien propre. L’objection de conscience individuelle, religieuse ou autre, est respectable et défendable, mais pas celle de l’obstruction concertée d’accès à un droit et à un service public.
Pour un soignant, médecin, infirmier ou pharmacien, refuser de poser le geste contraire à ses valeurs est fondé sur le droit et la philosophie. Nier ce droit à autrui et y mettre des obstacles par idéologie est immoral.
La loi place certaines personnes qui souffrent d’une maladie chronique incurable et progressivement débilitante devant un terrible dilemme : affronter l’angoisse de la privation d’une qualité de vie importante à leurs yeux ou songer à mettre fin à leurs jours prématurément et souvent d’horrible façon, alors que la Cour suprême leur aurait permis de recourir à l’aide médicale à mourir (AMM).
Nous vivons au Canada une situation juridique et médicale très paradoxale. Toute personne a le droit formel de donner ses directives médicales anticipées (DMA) en cas de pathologie soudaine ou rapidement progressive et qui lui enlève la capacité de décider pour elle-même. Elle peut donc par avance écrire qu’elle ne veut pas de réanimation, de traitements divers, etc., sachant fort bien que cela peut la conduire à la mort immédiate ou à brève échéance. Et comme elle est inconsciente au moment où cela se produit, cette personne ne peut changer d’avis. Tout cela est parfaitement légal et accepté.
Comment justifier alors qu’une personne dans les mêmes conditions de conscience pleine et entière ne peut faire une DMA demandant l’aide médicale à mourir, sachant que ses capacités cognitives vont progressivement s’éteindre et qu’elle ne veut pas subir cette déchéance ? En cas de démence, la personne ne peut donner un consentement parce qu’on juge, avec raison, qu’elle ne peut comprendre ce qu’on lui demande ni saisir les conséquences de ses réponses. Pourquoi en ce cas serait-ce différent lorsqu’on avance l’argument que l’on doit vérifier si elle est toujours d’accord alors même qu’elle avait pris cette décision en pleine connaissance de cause et de tous ses moyens cognitifs ? Pourquoi cette différence entre refus de traitements (conduisant au décès) et la demande d’aide médicale à mourir dans une situation inexorable ?
Conclusion
Dans le respect de la décision de la Cour suprême du Canada, l’AQDMD poursuit ses démarches pour que l’aide médicale à mourir puisse être accessible à toute personne touchée par un état physique débilitant qui porte atteinte à son autonomie et aussi pour qu’elle puisse s’appliquer aux personnes devenues inaptes et qui auraient exprimé clairement et par écrit leurs volontés en ce sens alors qu’elles étaient en pleine possession de leurs moyens cognitifs, c’est-à-dire rendre effectives les directives de fin de vie.
*L’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD) a pour mission de « faire reconnaitre l’autonomie pour chaque personne majeure apte et ayant rédigé ses directives médicales anticipées (DMA) d’avoir, lorsque sera venu le temps, une fin de vie conforme aux valeurs de dignité et de liberté qui l’ont toujours animée et pour que soit respectée sa volonté personnelle d’avoir une aide médicale à mourir (AMM) quel que soit son état cognitif à ce moment».
Georges L’Espérance
Références: 1. COUR SUPRÊME DU CANADA (2015). Carter c. Canada, 6 février 2015. https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/14637/index.do 2. RICOEUR, Paul (1990). Soi-même comme un autre, Paris, Seuil. 3. BAUDOUIN, Jean-Louis (2009). Rapport de synthèse, congrès de l’Association Henri Capitant, Journées suisses, 7-12 juin.
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