Les ÉU de Donald Trump

Donald Trump: au-delà d’une élection

Les voix de la colère et de l'espoir

L’élection de Donald Trump semble procéder du choix d’un homme mal léché, indélicat jusqu’à la violence et la vulgarité, apparemment inculte; mais ne serait-elle pas plutôt le symptôme de la fragilité essentielle de nos soi-disant démocraties?*

Il est nécessaire et tentant de s’arrêter sur les multiples mauvaises raisons de ce choix. Mais ce pourrait être aussi une occasion de s’interroger devant le désespoir/attente réels ainsi exprimés par à peu près la moitié de nos contemporains, aux US comme bientôt dans d’autres pays. Et de s’interroger sur cette gouvernance démocratique qui a peu ou mal tenu compte de grands pans de la population dont elle avait pris l’habitude qu’ils soient silencieux – et qui le sont de moins en moins, si bien qu’il sera de moins en moins possible de les laisser à la marge du pouvoir. Voici qu’elles s’expriment, ces voix dérangeantes, à travers celle d’un homme habile dont elles croient qu’il parle d’elles, comme elles et pour elles. Le réveil risque d’être brutal.

C’est que les nouveaux moyens d’information sont des supports extraordinairement efficaces pour faire circuler l’information comme la désinformation auprès des personnes qui jusque-là restaient, largement à cause de la pauvreté de leur éducation (dont elles ne sont évidemment ni responsables ni coupables!), dans une espèce de logique de l’impuissance. L’accès quasi illimité aux événements, productions et situations du monde entier leur permet désormais de faire des comparaisons et des liens inévitablement porteurs de revendications, légitimes ou non, et de transformer les anciens sursauts – manifs, grèves, mouvements plus ou moins vite retombés – en un début de vague qui semble irrépressible.

Ceux très diversifiés qui forment cette majorité découvrent en bloc que ces gens « qui ne sont pas de [leur] monde » possèdent tout, et qu’eux, ils manquent de tout. Ceux qui détiennent le pouvoir ou s’en arrangent le savent, intellectuellement ; mais c’est un savoir qui ne génère aucune action réelle ; où est, malgré la sincérité des déclarations, la justice sociale ? où, l’égalité en droit ? où, la fraternité ? quand inventerons-nous des structures qui mettent en œuvre le partage de la richesse ? En tout premier lieu, quand les éducateurs auront-ils les moyens de former des enfants qui auront un sens et un pouvoir critiques suffisamment développés pour leur éviter de suivre un chemin tracé par les autres qui les maintiendra dans un rapport de dépendance et de pauvreté globale inacceptables?

Que faire pour que l’ensemble de nos populations participe véritablement à cette démocratie dont nous rêvons tous ?

Si j’étais plus jeune, je m’engagerais dans l’action politique; je me replie sur le travail de penser, d’écrire et de lire. Car de même que je crois que nous ne devons pas passer à côté du signal envoyé par cette élection, de même que je crois absolument à l’importance de faire circuler la pensée libre de ceux qui nous ont précédés, celle des poètes et des écrivains qui nous ont instruits; c’est ce que j’essaie de faire avec les Lectures et Dits publiés dans ce blogue, avec une foi têtue dans le désir (même si parfois absurde et mortifère, l’actualité nous en donne malheureusement des exemples sanglants) universel de progrès individuel et collectif. Le discours de réceptioCamus à Stockholm en  1957, magnifique, qui m’émeut parce qu’il nous rappelle – sans nous donner de leçon mais par l’exemple – notre responsabilité d’humains, et qui me convainc que le combat pour la justice doit, et peut, rester vivant.

*J’ai repris ici les notes que j’ai écrites sur ma page Facebook, quelques heures après le résultat des élections états-uniennes.