Plagiat et autres vols

Rejeter le cynisme

La récente imposture d’un journaliste m’a tellement abasourdie que j’ai dû me ressouvenir  de cette fable de La Fontaine pour modérer un peu mon indignation:

Le geai paré des plumes du paon

Un paon muait : un geai prit son plumage;

Puis après se l’accommoda;

Puis parmi d’autres paons tout fier se parada,

Croyant être un beau personnage.

Quelqu’un le reconnut : il se vit bafoué,

Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d’étrange sorte ;

Même vers ses pareils s’étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,

Qui se parent souvent des dépouilles d’autrui,

Et que l’on nomme plagiaires.

Je m’en tais, et ne veux leur causer nul ennui :

Ce ne sont pas là mes affaires.

 

En effet il ne m’appartient ni ne m’intéresse de porter un jugement sur lui; je ne reviendrai pas non plus sur les faits reprochés : il s’en est lui-même expliqué longuement dans une lettre diffusée sur FaceBook. Enfin je tiens  à souligner que l’imposture est un acte individuel, qui ne doit pas affecter la confiance que nous accordons à la rigueur professionnelle d’une profession dans son ensemble.

L’imposteur

Ce sont les termes de cette lettre qui continuent de me troubler: ce qui m’apparait comme une série de manquements à l’éthique y est modestement qualifié d’« entorses au code du métier » et  d’ « erreurs de jugement».

Comment comprendre qu’un homme intelligent et estimé dans son milieu choisisse délibérément de se faire passer pour ce qu’il n’est pas ou de faire passer son activité (ou sa production) pour ce qu’elle n’est pas. Sa véritable identité se dérobe au profit de ce qu’il prétend être ; de la supercherie banale et presque naïve à la fraude la plus immorale, il transgresse avec plus ou moins de succès l’un des devoirs les plus élémentaires de la vie en société : l’honnêteté, nommée en d’autres lieux la morale, ou la transparence.

Les imposteurs* proviennent de tous les milieux : financiers, universitaires, journalistiques et autres. Du simple citoyen qui revêt une tenue militaire d’emprunt et affiche ses décorations pour, enfin, être respecté, aux « comptables créatifs » (Enron et autres) piégés dans la spirale de l’enrichissement; du plagieur scientifique et du créateur de données frauduleuses en quête de prestige aux reportages inventés du communicateur avide de renommée : tous incriminent des contraintes extérieures multiples.

Pour décrire ces comportements et selon les écoles de pensée on invoquera une manifestation démesurée du narcissisme, ou un trouble de la personnalité, ou les suites du traumatisme d’une séduction narcissique ou encore on y verra une manière généralisée d’endurer les tensions et anxiétés de la vie moderne. On s’accorde généralement sur les certitudes qui sous-tendent le discours que se tient l’imposteur : il est exceptionnel ; du fait de sa supériorité, il peut ne pas observer les règles qui s’appliquent aux autres. Il doit satisfaire son besoin d’impressionner l’autre, de rechercher son admiration ; quel que soit l’environnement, son but est la poursuite du prestige, du renom, de l’argent, du pouvoir, bref, de la puissance. De plus, il est convaincu qu’il ne sera pas découvert, si bien que lorsqu’il l’est sa première réaction est de nier des faits pourtant incontestables; s’il les reconnaît enfin il se plaint qu’on le punisse trop sévèrement, et invoque toutes sortes d’excuses; c’est la faute des autres : proches, clients, institutions, et autres instances contraignantes; bref, ce n’est pas lui le responsable; devant ses juges  il minimise ses mensonges (l’aveu d’une entorse ou d’une erreur semble peut-être moins grave et déshonorant que celui d’un manquement à l’éthique…).

L’éthique et les codes

Nous sommes tous soumis à des pressions multiples, qui exigent de nous que nous soyons plus forts, plus savants, plus riches, plus beaux : d’être qui nous ne sommes pas. Notre éducation, les valeurs transmises par nos parents et nos maîtres devraient nous armer contre les attraits de possibles tricheries. C’est à l’évidence pour contraindre ceux qui n’y résistent pas que notre société les gouverne en s’appuyant sur des règles si détaillées et des codes si fermés qu’ils rendent quasi inaccessible et superflue la réflexion sur le SENS et la VALEUR de nos choix et de nos actions collectives autant qu’individuelles. Créatures juridiques, les codes et leurs articles se substituent ainsi  à l’impératif éthique.

Car c’est bien d’éthique qu’il s’agit.  Comme si nous pouvions échapper à nos obligations morales en ayant recours  à des codes professionnels ou autres, comme si, sans les balises qu’ils construisent, nos valeurs essentielles risquaient de se dérober à notre conscience.

Pour terminer, je cite ces mots rassurants de Marc-François Bernier, journaliste et professeur :

 Je dis toujours à mes étudiants que le premier outil du journaliste, son bien le plus précieux, ce n’est pas son ordinateur, son iPhone, sa caméra, etc. mais bien ce qu’il a entre les deux oreilles: son jugement intellectuel et moral/éthique/déontologique, sa culture, ses connaissances, son sens critique qui n’est pas du simple négativisme, sa capacité à s’autocritiquer, à douter de soi-même, et le rejet du cynisme qui est une démission intellectuelle.

Un mot résume cette nécessaire profession de foi:

l’ÉTHIQUE

 

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* Dans ce texte, le féminin est inclus dans la forme masculine.