Louise Dupré

Louise Dupré, la rêveuse éveillée

La main hantée, désir de lumière

 

Tu n’habites pas seule ta souffrance et tu le sais

(Louise Dupré)

Louise Dupré:

« Dans chacun de mes textes ‑ qu’il s’agisse de poèmes, de nouvelles ou de romans ‑  j’interroge la subjectivité, celle qui est tapie en-dessous de l’identité qu’on a mis tant de temps à se construire, cette subjectivité mystérieuse qui surgit tout à coup grâce à l’exploration du langage, à la configuration des mots sur la page, pour peu qu’on se donne la peine d’écouter ce que nous dit la langue. L’écriture est pour moi une promenade intérieure où j’essaie chaque fois de m’approcher le plus près possible d’une source de sens que je ressens en moi sans pouvoir l’identifier. C’est parfois ardu, parfois douloureux, parfois jouissif, ça nécessite de la patience, ça implique de tolérer le doute et les questions sans réponse. J’écris comme un mineur s’enfonce dans la terre en se demandant avec quel matériau il remontera. Dans mon livre de poésie Plus haut que les flammes (éd. Montréal et Paris) j’ai noté :  « tu es terrienne et tu retourneras / à la terre ». J’écris avec le savoir que la terre a toujours le dernier mot.

« Oui, je suis terrienne, je suis une infatigable marcheuse qui avance, les deux pieds bien ancrés dans le sol, même si elle regarde vers le ciel et sa luminosité, même si elle sait apprécier la chaleur du feu et le goût de l’eau. Car le sol contient toute notre mémoire, une mémoire immémoriale qu’on n’aura jamais fini de fouiller, de sasser, d’interroger, d’interpréter. Je marche en m’arrêtant pour essayer d’identifier les fossiles dans les pierres, puis je m’arrête et je creuse pour trouver les vases funéraires dans les tombes, les monuments ensevelis sous les décombres, je cherche des cavernes qui contiennent des oeuvres d’art. Je m’enfonce vers un passé dont je n’ai aucun souvenir, sinon par ce que j’en sais grâce aux livres qu’ont laissés ceux et celles qui reposent maintenant dans le ventre de la Terre.

 La main hantée

« J’écris la main hantée par une mémoire que j’essaie de me réapproprier. Il faut savoir d’où l’on vient si l’on veut comprendre où l’on va. J’écris contre une civilisation qui cultive l’amnésie de l’histoire pour mieux s’étourdir en magnifiant le présent, un présent sans présence au monde, et donc sans avenir. Je ne prise guère les valeurs de la civilisation dans laquelle je suis née, quatre ans après le démantèlement d’Auschwitz et l’horreur d’Hiroshima. La vérité est que je ne fais aucune confiance aux humains, tournés vers les plaisirs et les profits, sans considération ni compassion pour leurs semblables. Et, consciente d’appartenir à l’humanité, je sais que je ne suis pas irréprochable : je suis habitée moi aussi par le mal. En effet, la nature humaine est incurable, j’en souffre, et j’essaie de mettre des mots sur ma douleur.

La beauté, la douleur

« Je crois à la nécessité du poème comme façon d’occuper le champ de la honte, de transfigurer la laideur en beauté, la douleur en bonté. Je suis loin de prétendre que mes livres peuvent changer le monde, mais je souhaite qu’ils puissent rejoindre d’autres personnes comme moi qui sont horrifiées devant ce qu’ils voient au journal télévisé. Car je ne suis pas la seule à ressentir de la détresse ni la seule à savoir que j’ai une responsabilité devant la cruauté. Nous sommes nombreux et nombreuses à demander à l’écriture de nous apporter une certaine foi en l’être humain, et un peu d’espoir en l’avenir.

« Je cherche à témoigner de l’état du monde et à partager mon désir de lumière. Je suis une rêveuse éveillée qui ne renonce pas au fantasme d’un monde habitable. J’écris pour rester debout parmi les vivants. »

 

 

de Louise Dupré, écoutons un extrait de « La main hantée »:

 

Illustration: Rita Letendre, Composition 1960

 

Nous remercions  Louise Dupré de nous avoir confié ces extraits de « La main hantée » (2016),  ainsi que  les Éditions du Noroît  de nous avoir aimablement autorisés à  les reproduire dans la série des « Poètes du Québec – Voix du Nouveau Monde ».