Dans cette ballade tragique et crue François Villon donne la parole à une femme ravissante, admirée et désirée de tous, confrontée au vieillissement de son corps et à ses regrets: la Belle Heaulmière. Elle se rappelle combien elle était séduisante: du beau (traictiz) visage aux seins menus, des hanches bien rondes au sexe si doux (ce sadinet assis sur grosses fermes cuisses, dedens son petit jardinet) … tout en elle était délicieux et charmant. Cette femme, épouse d’un fabricant de heaumes, aurait existé; il s’agirait d’une courtisane célèbre par les scandales qu’elle causa à Paris, et qui mourut à un grand âge.
En regrettant de n’avoir pas joui davantage de sa jeunesse, elle compare sa déchéance à ses irrésistibles charmes passés: maintenant son corps est décrépit, son front est ridé, le regard est éteint, le visage est pâle, les mains sont difformes (contraites). L’image de cette vieille qui se regarde toute nue, qui manifeste sa colère et sa honte « Quelle fuz, quelle devenue ! » appelle notre pitié.
La Belle Heaulmière, « tost allumée, tost estaincte »
Le contraste avec sa beauté disparue est si terrible qu’elle n’a d’autre choix que de rejoindre les autres vieilles désolées, peut-être pour se consoler en constatant qu’elle n’est pas seule. Car ces regrets d‘une femme singulière rejoignent la plainte de toutes les femmes vieillissantes et nous rappellent que toutes, et tous, nous subirons les effets du passage du temps.
Ces femmes sont non pas assises mais accroupies devant un petit feu de chènevotte (la partie ligneuse du chanvre, qui s’enflamme très vite mais s’éteint presque aussitôt) pour réchauffer leurs membres déjà froids. Pelotonnées autour de ce feu éphémère, elles parlent de leur jeunesse trop tôt évanouie : « Tost allumées, tost estainctes »; la formule s’applique au feu, mais également aux femmes: il n’en reste que des souvenirs et des cendres.
« Et jadis fusmes si mignotes! »
Les marques du temps opposées à l’érotisme à peine voilé du jeune corps féminin animent ce poème d’une tension émouvante entre jeunesse et vieillesse, devenant tension fondamentale entre le vivant et la mort. Les Pendus de la Ballade étaient un rappel pathétique de notre condition de mortels. Dans la même tonalité réaliste et désespérée la belle Heaulmière avec ses regrets préfigure la Mort prochaine. Le dernier vers du poème, où le mot emprent porte la nuance particulièrement brutale d’empoignade par surprise :
« Ainsi emprent à mains et maintes »
nous rappelle que le passage du temps n’épargne personne et qu’à l’approche de la mort, nous sommes tous égaux:
Camille Claudel Clotho, plâtre, 1893 – Musée Rodin, Paris