Le Roi des aulnes

Goethe (traduction)

 

Le Roi des aulnes, dans la tradition germanique, est une créature maléfique habitant les bois, qui règne sur les esprits de la forêt, aulnes ou elfes, et qui poursuit et entraine les voyageurs vers leur mort… Dans le poème de Goethe, l’un des plus connus et des plus troublants de la littérature allemande, un homme chevauche dans la forêt en serrant un enfant dans ses bras. L’enfant plaît au Roi des aulnes qui le poursuit inlassablement et cherche à le séduire. Si nous ne lisons pas l’allemand, la distance par rapport au texte original inhérente à la traduction ne nous permet pas d’apprécier les qualités littéraires du poème. Et pourtant,  aujourd’hui encore, nous  sommes saisis par le sentiment d’inquiétante étrangeté qu’il éveille obscurément en nous.

Dans ce drame véritablement théâtral à trois personnages : le Père, le Fils, le Séducteur, ce dernier peut représenter le Mal, ou  le désir, ou le mauvais père, ou la mère primitive, ou bien d’autres  figures encore. Plusieurs interprétations ont été avancées pour rendre compte de ce voyage terrifiant dans la nuit:

Une interprétation médicale « réaliste »a été proposée: la Ballade serait l’expression délirante de la souffrance et de l’angoisse d’un enfant malade que son père ramène à la maison où il sera soigné. Cependant, rien ne permet de penser que Goethe ait été inspiré par un événement de cet ordre.

On a pu voir aussi dans le poème une métaphore de l’affrontement entre la jeunesse, séduite par le mystère et l’aventure, et le monde mortifère des adultes aveugles à la face cachée du réel et qui, en s’opposant à l’invisible et à l’imaginaire au nom de la rationalité et des évidences tangibles,  étouffent toute tentative de création poétique.

Selon une autre thèse le poème serait le souvenir d’un rêve (de Goethe?) qui exprimerait le conflit et le drame intérieur de la soumission à la loi commune opposée au désir individuel de liberté, liberté pouvant être vécue de diverses façons.

Ou encore le récit du cauchemar d’une victime de violence sexuelle : d’un côté un protecteur aimant, de l’autre, un  violeur persuasif et sans scrupule. L’enjeu: un enfant, c’est-à-dire la vie, l’avenir, l’innocence. Ce qui conduirait au Roi des Aulnes de Michel Tournier : réactivant le mythe de l’ogre qui emporte son enfant mort dans une chevauchée terrifiante, Tournier évoque « la passion pédophile du roi des aulnes  …  certes amoureuse, charnelle même ».

La diversité des interprétations confirme la puissance de ce drame qui, dès l’abord, nous fait partager  la fascination et l’épouvante d’un enfant que le père est impuissant à libérer de l’emprise de la Séduction et de la Mort triomphantes.

 

Écoutons le Roi des aulnes :

https://youtu.be/Ls6ALSRO4q0

 Illustration : Wassily Kandinsky – Tache noire, 1912 (Musée russe de Saint-Pétersbourg)