On en sait si peu sur Rutebeuf que certains spécialistes du Moyen-Âge mettent en doute son existence même, comme on l’a fait pour Homère ou Shakespeare. Il est vrai que les seules indications que nous possédions sur sa vie sont celles qui sont évoquées dans certains des poèmes qu’on lui attribue.
Le lyrisme puissant, la vigueur tour à tour sarcastique, pittoresque et tragique de ses satires font de lui le véritable ancêtre de Villon et nous frappent par leur actualité. Il s’en prend à la cupidité et à l’hypocrisie des ordres mendiants, dénonce les abus de pouvoir des religieux, révèle la malhonnêteté des nantis et les forfaits des princes. Et il se plaint de sa vie misérable de trouvère; il en a tant à dire :
Je ne sais par ou je coumance,
Tant ai de matière abondance
Por parleir de ma povretei.
Mais bien au-delà d’une plainte pathétique sur sa pauvreté et sur les incertitudes de la vie errante, avec sa Complainte, sans doute le plus connu de ses poèmes, Rutebeuf nous présente le miroir de nos faiblesses et de la fragilité de notre condition d’humains et de mortels, dans une réflexion déchirante de beauté et de simplicité.
Écoutons:
Illustration: L’Arbre aux corbeaux (côte de la mer baltique) Caspar David Friedrich