Le théâtre, c’est le « lieu où l’on regarde ». Les premières formes de l’espace de spectacle que nous connaissions se présentent à ciel ouvert, ainsi que le montre l’image du théâtre romain d’Aspendos. Plus tard, à cette construction ouverte ont succédé diverses architectures, parmi lesquelles le théâtre à l’italienne, où le rideau enferme les spectateurs et les acteurs dans des espaces clos – la salle, la scène, séparées; le rideau levé, le lieu de l’action reste symboliquement cloisonné par un « quatrième mur », invisible mais pourtant là.
Puis les metteurs en scène ont ouvert cet espace clos, et aujourd’hui encore questionnent la relation entre le public et le spectacle ; le rideau, qui signale matériellement la distance entre spectateurs et acteurs, disparaît, permettant de modifier l’espace et la division salle / scène qui jusque-là étaient traditionnellement figés dans un rapport frontal immuable. Les décors sont de plus en plus épurés, minimalistes même, sans intention de figuration du réel, ainsi qu’en témoigne par exemple l’élément photographié d’une scénographie récente conçue par l’homme de théâtre Claude Paiement.
La fonctionnalité de cet espace, vide puisqu’il n’induit aucun rappel de déjà-vu, met l’accent sur les personnages et sur leur destin; ce dé-paysement porte le spectateur à s’approprier le drame en le « meublant » à son gré, en le réalisant pour ainsi dire, en le réinventant même.
Dans ce court extrait de L’Échange, Paul Claudel met en scène une actrice, Lechy Elbernon. Elle parle de chacun de nous, spectateurs, nous renvoyant à nous-même alors que nous l’écoutons. Elle dit: « Et ils regardent et écoutent comme s’ils dormaient …». Claudel nous fait ainsi prendre conscience de la fonction hypnotique de la parole théâtralisée. On se souvient ici de Louis Jouvet, qui parlait de «l’envoûtement que le rôle, le personnage, en tant que support et prétexte, exercent sur le spectateur. »
Quel que soit le lieu d’où arrive la parole : amphithéâtre ouvert ou théâtre clos à l’italienne comme celui évoqué par Lechy, quelles qu’en soient les modalités de (re)présentation, le théâtre existe parce qu’il est nécessaire. Distraction, envoûtement, éveil ou marche inconsciente vers la connaissance de soi, il offre la jouissance de la liberté propre au rêve, parce qu’il arrive quelque chose sur la scène, comme si c’était vrai :
Théâtre romain d’Aspendos (Asie Mineure). Élément du décor conçu par Claude Paiement pour la pièce de Goldoni, « Les cuisinières »